peinture ou photographie? la photo est-elle une forme d’art?

en lisant l’article ci-bas, je n’ai pu m’empêcher de le transférer tel quel sulago. débat très «actuel»: est-ce que la photographie est un art au même titre que les autres disciplines?! si on était au 19e siècle, ce débat aurait peut-être raison d’être… mais pas au 21e…

Rupture artistique à l’Assemblée nationale (ndlr: du Québec)

Antoine Robitaille
Le Devoir du mardi 07 avril 2009

Des peintres déplorent le retour de la photographie parmi les tableaux des présidents

Le choix de l’ancien président de l’Assemblée nationale de recourir à un photographe et non à un peintre pour son portrait officiel relance un vieux débat opposant peinture et photographie. Quel est le critère, ici? Le prix? La ressemblance? Le symbole? Tableau d’une mission artistique impossible.

Québec — Des peintres déplorent le retour à la photographie comme technique pour faire le portrait souvenir du président de l’Assemblée nationale. Des journaux l’ont souligné: l’ancien président Michel Bissonnet, le 42e de l’histoire, a rompu avec une tradition établie depuis des décennies en demandant à un photographe, et non à un peintre, de faire le travail. Les dernières photos de président dataient des années 70. Elles étaient la norme à l’époque de Maurice Duplessis.

Daniel Lessard a signé l’oeuvre représentant M. Bissonnet. Il vient de prendre sa retraite de l’Assemblée comme photographe officiel. M. Lessard a pris la photo dans le cadre de son travail (et n’a pas reçu d’honoraires supplémentaires pour ce faire). L’ex-président a choisi M. Lessard pour trois raisons: d’abord pour faire des économies. Dans le passé, le prix payé à des peintres avait fait sourciller; notamment les 25 000 $ du Iacurto représentant Richard Guay. Cette fois, l’opération aura coûté 8200 $, encadrement doré compris. M. Bissonnet voulait aussi honorer un employé de l’Assemblée nationale. Enfin, l’ancien président estimait ratés plusieurs des derniers portraits de présidents faits par des peintres.

«La photo, c’est plus fidèle que la peinture. Et M. Bissonnet voulait qu’on le reconnaisse», explique Daniel Lessard en précisant toutefois que «la peinture bien rendue peut aussi être très fidèle».

Pour «adoucir la transition entre la peinture et la photo», M. Lessard a voulu que son cliché ait des «aspects de peinture». Lorsque la photo a été prise devant le trône au salon bleu, le photographe a ajouté des éclairages particuliers. Ensuite, l’image numérique a été «légèrement manipulée avec le logiciel Photoshop», afin de «créer une atmosphère». Elle fut enfin «imprimée directement sur un papier photographique à texture de toile».

Faux-semblant!

Luc Archambault, peintre de Québec bien connu (dont Robert Lepage a inclus certaines oeuvres dans son Moulin à images), se disait hier très déçu de voir que la tradition de portraits peints avait été abandonnée. «Les arts visuels sont le parent pauvre des arts. J’interprète cette décision comme le signe d’un recul.» Archambault qualifie l’oeuvre de «faux-semblant». Est-ce à dire que la photo n’est pas un art visuel? «Oui, mais celle qui s’assume comme telle», rétorque l’artiste et polémiste. «Il y a évidemment de grands photographes. C’est un art à part entière», nuance-t-il. L’ennui, dans le portrait du président Bissonnet, c’est l’imitation de peinture, insiste-t-il. «Du faux semblant… à l’image de cette Assemblée-là, qui fait partie de l’État du Canada, qui ne s’est jamais soumis aux voix du peuple… et d’un gouvernement qui est aussi champion du faux-semblant», peste Archambault.

L’auteur d’un des portraits les plus originaux de la collection, Gatien Moisan, qui a peint le péquiste Roger Bertrand (voir www.rogerbertrand.org/portrait.html), président au milieu des années 90, souligne que la photo modifiée, retouchée «fait partie de notre époque et du quotidien des artistes en arts visuels de notre temps». Toutefois, il déplore l’impression sur fausse toile et l’imitation peinture. «Ça, c’est vraiment moins heureux», juge ce professeur en arts visuels.

La toile de M. Moisan sera prochainement décrochée pour être exposée dans une rétrospective de l’artiste, au Saguenay. C’est une oeuvre à clés que plusieurs détestent pour son aspect éclaté. Le président Bertrand, dont la tête revient à trois reprises, l’a interprétée, une fois qu’elle fut terminée: «Trois visages […] rappelant chacune des responsabilités exercées par le Président […]: diriger les travaux, administrer ses services et représenter [l’assemblée] auprès des autres.» Une ancienne employée de la présidence commente: «Ah, celle-là! Ça prend un manuel d’instruction pour la comprendre!»

Au Parlement, plusieurs se souviennent des questions soulevées par le portrait que Jean-Paul Lemieux avait fait de Clément Richard. Le prix de 15 000 $ plus un crédit d’impôt avait déclenché une «petite polémique», se souvient M. Richard. «Il y a aussi le fait qu’elle est très différente des autres.» Richard y porte un gros manteau d’hiver et est peint devant le parlement entouré de neige; on reconnaît les paysages horizontaux si caractéristiques des oeuvres de Lemieux.

De l’avis de plusieurs, la toile est «belle». Luc Archambault lance: «Cette oeuvre prouve jusqu’à quel point l’art est important en ces matières: c’est un actif, c’est un héritage, pas une dépense.» Combien vaut aujourd’hui ce Lemieux? «Quand on décide de rénover sa maison avec des matériaux non nobles, elle ne prend pas de valeur. Si on prend le temps de bien faire les choses, avec les bons matériaux, nos actifs s’apprécient», illustre Archambault. Le photographe Daniel Lessard estime cependant que Clément Richard n’est pas vraiment représenté sous son meilleur jour sur la toile de Lemieux. «Sa peau est grise et verte», dit-il.

Le prix du portrait présidentiel a, depuis les années 70, suscité presque une obsession, dans le débat public. Et cela a eu des conséquences. Après les critiques au sujet du Lemieux de Clément Richard, son successeur Claude Vaillancourt a voulu faire au meilleur prix. En 1995, Le Soleil soulignait qu’après Richard, «Vaillancourt avait péché par excès contraire en attribuant 3000 $ à une artiste de son comté pour une oeuvre qui étonne toujours», écrivait-on de façon polie. L’ancienne employée de l’Assemblée citée plus haut l’est moins: «Aucune dimension ou perspective! Vaillancourt, fait comme un joueur de football, a l’air tout frêle!» Cette même source n’est guère tendre avec des toiles plus récentes: le portrait de Jean-Pierre Charbonneau? «Trop chargé: Borduas, la COPA… et ces sourcils qui lui donnent l’air d’être en colère.» Celui de Louise Harel? «Pas mal. Malgré le drapeau du Québec envahissant et qu’elle ait l’air unijambiste!»

«On est dans l’arbitraire et dans le subjectif ici», commente Mario Béland, conservateur de l’art ancien de 1850 à 1900 au Musée national des beaux-arts de Québec. Bien difficile de départager ici le beau du laid: des goûts et des couleurs… La difficulté tient en grande partie aux multiples contraintes entourant cet art: être à la fois de son époque et de se conformer au moins minimalement à une tradition ancestrale, celle du portrait officiel. L’oeuvre est au surplus présentée au public, dans un bâtiment empreint de solennité; «on peut certes y être moins audacieux que si ça restait dans notre salon».

Le prochain à devoir relever le défi est François Gendron, dont le passage sur le trône a été le plus court de l’histoire: 16 jours. Il compte, lui aussi, avoir recours à un photographe. Et Yvon Vallières? Chose certaine, raconte notre ancienne employée: «Il doit y avoir déjà des tonnes d’offres de peintres et de photographes. C’est automatique, dès que tu accèdes à ce poste.»